Dieu m’ayant fait la grâce de m’avoir donné de gros seins dressés et des fesses éléphantesques, j’étais le point optique d’une multitude de courtisans dans cette ville d’Abidjan où avoir un beau corps pour une femme, était bien plus qu’avoir un doctorat en médecine et un poste ministériel au sein du gouvernement. Tous les jours, on me draguait. Et rien qu’à répondre à un rendez-vous, je répartais toujours le sac à main plein de billets craquants. Ils sont fous, les hommes, quand ils veulent d’une belle femme comme moi. Que pouvais-je faire d’autre sinon profiter de ma beauté, de mon influence et de mon hypnose auprès de mes prétendants ? Je crois que Yasmine était jalouse de mon succès avec ses conseils de sorcière :
– «Louise-Cécilia, me dit-elle de sa voix d’espiègle, tu passes tout ton temps à faire des shoppings et à mener la belle vie. Actuellement tu as beaucoup d’argent du fait de la générosité de tes pointeurs. Tu ne ferais pas mieux d’investir dans des affaires afin de ne plus avoir à dépendre des hommes ? »
– «Investir dans quoi ? Attends, Yasmine, mais tu me prends pour qui ? Quelle insulte envers ma beauté ! Avec tous les atouts que Dieu m’a donné, est-ce que moi j’ai à travailler de ma vie ? Une femme de ma carrure n’a pour compte bancaire éternel que la poche d’un homme !»
– «Les hommes sont imprévisibles, tu sais. Loin de moi l’idée de te dire de ne pas avoir d’amoureux, mais il faut te mettre à l’abri pendant que tu en as la possibilité, afin qu’aucun garçon, ni aujourd’hui, ni demain, ne puisse avoir pouvoir de domination sur toi. À ce sujet, Emma Lohoues est très prévenante lorsqu’elle dit et je cite : « quand une femme n’a rien et qu’elle est abandonnée par son homme, que devient-elle ? Elle est perdue dans la ville. Elle est perdue parce qu’elle s’est toujours dit qu’il lui faut absolument un homme pour s’occuper d’elle, et point barre. Le mieux pour une femme c’est d’apprendre à chercher son argent pour ne pas avoir à rentrer dans une relation où demain on va la mettre dehors, dans une situation où elle sera déboussolée… »
– «Yasmine, Emma Lohoues est tellement rassasiée qu’elle veut devenir philosophe. En plus tu soutiens ses propos ? Moi, je ne fais rien avec ça ! L’argent de garçon qui est doux comme ça ! En plus, quand je vais me marier, n’est-ce pas que ce sera mon époux qui fera tout pour moi ? Je ne suis pas idiote, après tout. Car mon mari se devra d’être riche et beau. »
Je continuais à vivre comme une princesse qatarienne, dans la poche des hommes, jusqu’à ce que je me décidasse de dire oui à la proposition de mariage d’un footballeur international évoluant en première leage anglaise, dans le club d’Arsenal. Originaire de l’ouest du pays, mon amoureux était grand et canon comme Didier Drogba. Nous logions dans une grande villa de Angré où je lui fis deux enfants au bout de nos noces de cuir. À la quatrième année, mon mari qui n’était présent à Abidjan que pendant les vacances, devint complètement méconnaissable. En plus de manquer d’attention à mon égard, il se mit à me traiter comme une moins que rien, comme si j’étais une boniche. Dans les journaux ivoiriens, on parlait sans cesse de ses scandales sexuels à répétition. Quand je m’en plaignais, il me bousculait en me grondant sans plus m’appeler Bébé comme à nos débuts :
– «Écoute Louise, avec ton lourd nom-là, je t’entretiens pendant des années alors que tu passes ton temps à ne rien faire de tes dix doigts, sinon qu’à te maquiller. Ça ne te suffit pas pour me laisser vivre ma vie ? Tu me laisses tranquille, sinon je te vide ! Paresseuse ! Sans ambition. Avec tes seins tombés-là ! J’en ai de plus frais à téter.»
– «Chéri…»
– «Ne m’appelle pas chéri ! »
– «Crépin, j’aimerais te rappeler que tu es l’auteur de ces seins tombés dont tu parles. Je suis choquée ! Je t’ai donné deux enfants, t’ai consacré ma vie, ai renoncé à des relations bien plus juteuses, pour toi. Et c’est comme ça que tu me récompenses ? »
Ma relation se détériora d’avec mon époux si bien qu’il me demanda le divorce. Un matin, ses parents maternels vinrent me vider de force de ma maison pendant qu’il était en club, approuvant l’injustice dont j’étais victime. Mariée sous le régime de la séparation de biens, j’utilisai le peu d’argent que j’avais pour me lancer dans une activité commerciale. Les hommes ne voulant plus de moi parce que me trouvant fanée pour certains et ne voulant pas d’une femme en instance de divorce pour d’autres, je dus apprendre à gagner mon pain à la sueur de mon front et non plus à la sueur de mes charmes. C’était difficile.
Mon amie Yasmine vivait dans un grand appartement. J’aurais bien voulu lui demander l’hospitalité pendant un moment, mais j’en avais honte. Je me louai donc un petit studio à Yopougon Kouté en attendant de clarifier ma situation sociale. Moi, la femme du footballeur international, ou du moins l’ex d’une star en sursis, je me promenais de bureau en bureau et dans les rues pour vendre des articles cosmétiques, à des clients qui ne voulaient me les acheter qu’à crédit. Quand mon fond de commerce tarit et que vidée de mon studio pour incapacité d’acquittement de loyer, je descendis avec mes bagages au domicile de mon amie Yasmine qui m’accueillit comme affolée :
– «Louise, que t’es-t-il arrivé ? Et tes enfants ?»
– «Ils sont avec les parents de Crépin. Il dit qu’il ne veut plus de moi.🥺 Ils ont mis mes bagages dehors.😥 Je me suis battue en faisant du commerce pour essayer de m’en sortir, mais ça n’a pas marché. Je suis ruinée. J’ai si honte de moi…😭»
Avec l’aide de sa servante, Yasmine fit entrer mes bagages chez elle. Elle me servit un lait chaud, et me parla avec beaucoup de sincérité :
– «Louise-Cécilia, avant tout, sache que tu es la bienvenue chez moi. Ensuite, loin de moi de te donner des leçons, mais j’aimerais que tu te souviennes de ces paroles d’Emma Lohoues que je t’ai récitées il y a quelques années : »quand une femme n’a rien et qu’elle est abandonnée par son homme, que devient-elle ? Elle est perdue dans la ville. Elle est perdue parce qu’elle s’est toujours dit qu’il lui faut absolument un homme pour s’occuper d’elle, et point barre. Le mieux pour une femme c’est d’apprendre à chercher son argent pour ne pas avoir à rentrer dans une relation où demain on va la mettre dehors, dans une situation où elle sera déboussolée… » Tu as rejeté ces vérités, et aujourd’hui, elles te rattrapent. Emma n’a jamais été contre les relations, ni contre le mariage. Elles demandent seulement, à nous, femmes, de privilégier notre indépendance et que c’est à ce prix qu’aucun homme ne pourra avoir pouvoir de domination sur notre vie. Est-ce mauvais cela ? Si j’ai cet appartement, c’est grâce à mon autonomie, et mon fiancé me respecte ! Quand on sera mariés, je ne le vois même pas en train de me faire chanter, puisqu’il sait que je suis capable de m’assumer. Les hommes sont si imprévisibles qu’il vaut mieux pour nous d’avoir « un pied sur caillou », pour parler de notre autonomie… Si tu avais commencé tes activités commerciales depuis longtemps, tu aurais gagné en expériences et en temps; ça aussi, ça compte. Viens dans mes bras, ensemble, nous allons remonter la pente…»
Je me penchai vers Yasmine pour l’accolader, et aussitôt, la tasse de lait se déversa sur ma cuisse nue. Son chien, un caniche royal aux poils blancs, courut vers moi, langue pendante, avec à l’esprit de lécher le liquide blanchâtre au dessus de moi. Son attitude me rappela Crépin à nos premières heures d’amour, me donnant l’envie de lui foutre le bout de mon talon dans le derrière.🤧
Louis-César BANCÉ