Samedi 25 décembre. Jour de Noël. Je partis avec ma fille au marché de la ville, pour lui acheter la poupée de ses rêves, qui selon ses descriptions, parle comme les hommes en plus de savoir chanter comme une princesse. Une fois que cela fut fait et que nous nous apprêtions à nous en aller dans notre voiture, je vis dans mon rétroviseur une petite fille en robe bleue, accroupie, les mains sur ses genoux et le regard plein de contemplation pour une poupée, la même que j’avais achetée pour mon enfant, à une somme pas à la portée de tous. Je restai immobile pendant quelques secondes, la main sur mon volant, les yeux rivés sur la petite fille en robe bleue à travers le reflet de mon miroir… Mon moteur vrombissait. Je l’éteignis, puis descendis en allant vers la marchande de la boutique dont les articles s’étendaient jusque sur la rue. Je l’invitai à venir avec moi, près de la petite fille en robe bleue. Celle-ci était toujours dans la même posture, admirative d’une poupée joliment habillée dans un ensemble rose bleu, un bucket sur ses cheveux blonds.

– «Donnez-lui la poupée, dis-je à la propriétaire de l’espace. »
          
Elle s’exécuta, et les yeux de la petite fille s’illuminèrent, ne semblant pas comprendre le miracle qui venait de se produire à elle. Elle serra la porcelaine fort contre elle, et se mit à courir avec son regard ébahi, rejoignant un homme qui semblait la surveiller à distance. Ce dernier la prit dans ses bras, et ensemble, ils traversèrent la route…
      
Reprenant le volant de ma voiture, j’entendis ma fille, émotive, m’adresser la parole pendant que nous roulions tout doucement vers la maison : « Papa, j’ai tout assisté depuis le rétroviseur… En offrant cette poupée à cette petite fille, plus que celle que tu m’as offerte, je crois que tu viens de m’offrir mon plus beau cadeau de Noël ! C’était si touchant !…❤»
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Une semaine plus tard, à un carrefour de la ville, je garai ma voiture près d’un commerçant dont les fruits étaient remplis dans sa charrette. J’en choisis une douzaine, un mélange d’ananas, de mangues, d’oranges et de fruits de la passion.
– «Ça fait combien le tout ?»

À cette question, le « wotrotigui » me surprit par sa réponse :
– «Pour vous, ça sera gratuit.»
         Je le regardai tout ébahi, puis il poursuivit :
– «Vous vous en souvenez ? Le jour du Noël, vous achetiez une poupée à une petite fille que vous ne connaissiez pas. Ce jour-là, elle a fait toutes sortes de caprices et d’acrobaties pour que je lui achète sa poupée. Mais je ne pouvais pas. Le prix était si faramineux que ça dépassait le fond de commerce de mes fruits. J’ai dû la laisser pour qu’elle se calme un peu, et tout d’un coup elle a couru vers moi avec la poupée dans ses bras. De loin, j’ai compris que c’était vous qui la lui avait achetée. Je savais que plus jamais je ne pourrais oublier ce visage qui a donné, sans contrepartie, du bonheur à ma fille. Vous m’avez épargné de la honte. Merci infiniment…»

  Il y avait tellement de sincérité dans la voix du wotrotigui que j’avais la chair de poule. Malgré son insistance à me faire cadeau de ses fruits, je les achetai plus qu’au prix normal de sorte qu’il puisse quadrupler ses achats :
– «Les hommes ont juste besoin d’être solidaires les uns les autres, lui dis-je aimablement, c’est à ce prix, et pas à un autre, que nous pourrions bâtir un monde meilleur…»

Alors que je démarrai ma voiture, le vendeur de fruits, à quelques mètres de moi, éleva la voix :
-« Je ne sais même pas comment vous vous appelez ? »
– «Cher ami, c’est Louis-César Bancé . Mais j’ai aussi un pseudo : Prix Audi TT 99…😉»

J’accélérai, une main sur le volant et les dents croquant un délicieux fruit de la passion.

Louis-César BANCÉ