À la maison, tout le monde manquait de respect à Griza. À 43 ans, gros gaillard comme un ours, ce n’était pas évident de dormir dans le salon de ses parents et bénéficier du respect de la famille. Même les neveux d’une quinzaine d’année, fruit d’une relation adultérine, envahisseurs du ménage comme un troupeau de cochons, remuaient leurs becs à l’encontre de Griza à la moindre altercation :

• Toi vieux-là, c’est pas mieux tu vas aller chercher ta maison ? Tu n’as pas honte de dormir encore ici à cet âge ? Arrête de nous embrouiller hein !
• Regardez-moi ces poussins impolis-là ! s’irritait Griza. Vous aussi, vous allez parler ? Vos mamans vous accouchent dans le désordre, vous vous retrouvez sans papa au domicile de vos grands parents, et c’est vous qui voulez vous faire passer pour les occupants légitimes du coin. Moi, je vis chez mon père et ma mère hein ! Si mes sœurs n’ont pas honte de vous avoir déversés ici comme des déchets toxiques, je vais m’occuper de vous redresser. Bande de ruminants !

Griza ramassa une pièce de 200 francs à l’intérieur d’un fauteuil troué. Quelle aubaine ! Trois mois qu’il n’avait pas touché une telle fortune. L’homme avait faim. Entre s’acheter de la nourriture ou des crédits d’unités pour Internet, il était indécis. Le gaillard opta finalement pour la deuxième option. Les réseaux sociaux l’avaient tellement manqué !

Quelques minutes après, il était sur Facebook, les doigts skiant sur son vieux téléphone à l’écran cassé. Une publication attira son attention dans son fil d’actualité. Une page Web présentait un modèle de réussite : À 25 ans, monsieur Lambertini, jeune chercheur ivoirien, avait fait une invention qui l’avait rendu multimillionnaire. Sous sa photo illustrative, que de mots élogieux à son endroit. Griza, le cœur grignoté par une aigreur indescriptible, donna son avis sur le sujet :

« Ce jeune homme n’est pas clair. Je le connais. Il a signé un pacte avec le diable qui lui a permis de faire cette invention. J’en sais quelque chose, arrêtez de faire la propagation des gens mystiques. En plus, ce Lambertini est un homosexuel. Son derrière est gâté… Je sais de quoi je parle. Il sourit sur la photo, mais son âme pleure. Il sait, je sais… »

Trois jours après le commentaire de Griza sur Facebook, la Police s’aména à son domicile et l’embarqua à la surprise de sa famille. Au commissariat, confronté à monsieur Lambertini qui avait porté plainte pour diffamation et atteinte à son honorabilité sur les réseaux sociaux, Griza bégaya lorsqu’on lui demanda de justifier son commentaire :

• Chefs, je ne sais pas ce qui m’a pris oh. J’ai écrit comme ça sans savoir qu’on pouvait venir me chercher juste pour une affaire de Facebook… Pardonnez. Je me cherche, je dors encore même en famille malgré mon âge.

Une policière tapa sur la table :

• Tu dors encore en famille et c’est toi qui ose salir un jeune chef de famille en racontant des inepties sur la toile ! Monsieur Griza Gougnon, on va taper ton PV et tu iras à la MACA !

Griza regarda le jeune chercheur assis sereinement sur le bureau :

• Tonton, pardon, je ne vais plus recommencer, dit-il, des larmes perlant sur ses joues.
• Non, il n’y aura pas de pardon, tu iras t’assagir en prison.

Un octogénaire, canne à la main, débarqua au poste de Police. Reçu dans la salle d’interrogatoire, il présenta ses excuses au plaignant ainsi qu’aux policiers. Cependant, monsieur Lambertini était décidé à ne pas retirer sa plainte et tenait à infliger une correction au quarantenaire. Le vieillard rétorqua :

• Je comprends votre colère. Mais ce garçon est mon fils. Je ne pourrais le laisser dans des problèmes. J’ai de l’argent sur moi. J’aimerais demander aux agents si c’est possible d’obtenir sa liberté sous une caution ? Et Griza Gougnon, le gaillard salonnier de 43 ans, tremblant, le regard suppliant en direction de son père :
• Aide-moi papa ! Ne me laisse pas tomber, aide-moi papa…

Louis-César BANCÉ