Soleil avait fait les beaux temps du show biz ivoirien, jusqu’à ce que sa carrière connût une déclinaison. Ce n’était pas le talent qui lui manquait pour produire de nouveaux tubes. Mais depuis quelques années, l’artiste s’était recroquevillé dans son village natal, dans la côtière, quelque part dans une périphérie lagunaire. Un jour il reçut l’appel de Tamaléman, l’une de ses fans devenue une star de la musique ivoirienne :

– «Comment tu vas Soleil ? Sais-tu que tu as toujours été mon idole depuis mon enfance ? Pourquoi tu as disparu de la scène musicale ?»

– «Ma chère, je suis au village. Quand j’ai eu du succès, j’ai passé mon temps à rendre service aux gens, en m’oubliant, si bien qu’aujourd’hui j’ai été obligé de revenir aux sources. »

– «Reviens à Abidjan, nous allons travailler ensemble. Actuellement, mon gars, un footballeur international, a ouvert une grande structure de production, que je gère en tant que patronne. Nous allons te produire. En plus, j’ai toujours rêvé de faire un duo avec toi. J’avais bouclé mon album, mais viens me proposer un titre que nous allons interpréter ensemble, et qui va figurer dans ma dernière sortie. Ne quitte pas, je te passe mon petit ami, qui va te rassurer sur les perspectives. »

Après avoir échangé deux mots avec le boss de la maison de production, rempli d’espoir, Soleil fit son baluchon et prit la route pour Abidjan. Il signa une collaboration avec la structure de Tamaléman et sortit une chanson qui le remit en surface, au grand bonheur de ses fans heureux de le retrouver. Cependant, pour une carrière d’envergure, il avait besoin que son clip passât sur Trace Tv. Lorsqu’il en parla à son producteur, ce dernier se montra colérique :

– «Parce que je fais passer Tamaléman sur Trace, toi également tu veux passer là-bas ? Oh, non, laisse tomber ça. Elle, c’est ma copine, et c’est normal que je lui accorde tous les financements. Tiens, elle t’a demandé de lui faire une chanson, tu l’as fait ? »

– «Oui, nous sommes en studio pour les prises de voix. »

Soleil composa une chanson pour Tamaléman, qu’ils interprétèrent en duo. À la sortie de l’album, leur titre connut un succès fou, devenant la chanson la plus jouée en discothèque et dont seule la chanteuse percevait les droits d’auteur… Bah, c’était un cadeau dont Soleil se réjouissait de la portée. Tout ce qu’il souhaitait cependant, c’était que sa maison de production l’accompagnât dans sa promotion pour une meilleure visibilité de ses créations. Malheureusement il était laissé pour compte, faisant tout de lui-même et de sa propre poche : les négociations avec les télés locales, les émissions ici et là où il avait parfois besoin d’un minimum pour le transport. Et quand il s’adressait à son producteur à cet effet, l’international footballeur se montrait incrépatif : « Je n’ai pas de transport à te donner. Je ne veux même pas que tu m’en demandes. Débrouille-toi, djo, sinon je vais te faire retourner dans ton village où on t’a enlevé de la boue là hein ! »

Juste après ces échanges, le lendemain, le producteur était aperçu dans les médias et sur les réseaux sociaux en train de faire des dons à des personnes inconnues en situation de détresse, à coup de millions ! La veille, il avait été incapable d’éprouver la moindre empathie pour l’un de ses proches…

  Un jour que Soleil rencontra en ville un groupe zouglou qui avait claqué la porte à Tamaléman production, les zougloumen lui demandèrent :

– «Tu fais de belles chansons, mais pourquoi durant tout ce temps tu manques de promotion ? »

– «Ce n’est pas moi, mais les patrons de ma maison de production, qui ne m’accompagnent pas comme il faut. »

– «Ahi, depuis là tu es encore avec eux ? Si nous on est partis, c’est à cause de tout ça. Les Ivoiriens nous ont traités d’ingrat sans connaitre le fond du problème. En réalité, Tamaléman production a été conçue pour la seule visibilité de la personne de la chanteuse Tamaléman ! Le fondateur n’est prêt que pour sa petite go. Avec une telle structure, tu ne pourrais jamais avancer, c’est pour cela nous on a gagné temps et aujourd’hui, tout va bien pour nous. »

– «Fhum ! Je crois que je vais faire comme vous, surtout que la dernière fois le boss a menacé de me faire retourner au village, dans la boue dans laquelle il dit m’avoir enlevé, selon ses propres termes. J’ai trouvé ses propos très rabaissants. Mais y a fohi, je m’appelle Soleil, je vais prendre ma route, et je fais la promesse de ne plus arrêter de briller…☀»

Louis-César BANCÉ