• «Allô monsieur le ministre, je suis à Abidjan depuis une semaine. »
• «Et puis c’est maintenant tu m’informes ? Mais tu n’es vraiment pas un bon type, Yoroh ! On fait comment, c’est le week-end. Et puis, tu as quel problème. Arrête de m’appeler monsieur, hein. Depuis quand y a ça entre nous. »
• «Djo, mon élément, ça m’a échappé. Si tu es libre ce soir, viens vers moi, tu ne vas pas regretter. »
• «Ça marche, Yoroh. On se prend à 23 heures.» Tard dans la nuit, à bord d’une vieille Toyota aux vitres teintées et à la tôlerie dégradée, le ministre débarque chez son ami Yoroh. Ce dernier vit en Europe depuis plus de 40 ans, et vient souvent à Babi pour humer la doucereuse chaleur du pays. Yoroh grimpe au copilote du tacot, et guide l’homme politique, son ami de longue date :
• «Je t’envoie à Angré, à la rue LCB. Dans un coin chic. Il y a de vraies petites là-bas. Elles vont te mettre bien !»
• «Non, Yoroh, c’est pour cela je t’adore. L’année passée, je n’ai pas oublié le ghetto dans lequel tu m’as envoyé, à Marcory. C’était vraiment bien. Je me demande comment tu fais pour connaitre les vrais coins alors que tu n’es pas très présent ici. C’est toi qui vis à Bingue, et qui viens me faire découvrir Abidjan, à moi qui suis ici ! C’est incroyable !» Les deux amis arrivent devant un bar, et s’y introduisent, escortés par des managers faisant leurs civilités à Yoroh, et qui semblent ne pas reconnaitre le ministre. Ce dernier, habillé comme un apprenti-gbaka, porte une casquette piquée vers le bas, et de grosses lunettes de soleil… Installés dans un salon privé, dans une obscurité transpercée par de fins jets de lumière, l’homme politique et son ami, après avoir commandé deux bouteilles de champagne, reçoivent aussitôt de la compagnie : ce sont deux demoiselles aux fesses dodues qui se mettent à danser pour eux, autour d’un fer implanté au milieu du salon obscur. Nues comme des vers de terre, avec uniquement une médiatrice traversant la raie des fesses, les deux croqueuses aux strings atypiques, s’avancent bientôt vers leurs clients, et tout en offrant le dos, elles leur font du twerk. Le ministre sourit comme un nigaud, donnant des fessées aux deux foutous qui se secouent sous ses yeux et murmurant à son ami qui prend aussi du plaisir juste à côté : « Yoroh, ouais, c’est du bon ! Tu connais vraiment le pays ! Il va falloir qu’on discute, quant à te nommer à un poste au sein de mon cabinet. Parce que tu as une grande connaissance des choses d’ici. » Yoroh sourit, et chuchote à son tour à l’oreille de son camarade : « En Europe, je suis payé en euro, hein. Pour m’avoir ici, il va falloir débourser beaucoup de thune, hein. » Les deux danseuses se servent du champagne glacé, prennent une gorgée, et hop, font descendre les braguettes des deux messieurs en se mettant à pomper leurs dards… À la fin de la soirée, nos deux randonneurs s’engouffrent dans leur voiture et filent vers l’horizon. Le ministre a passé un bon moment, mais il semble anxieux depuis la sortie du bar. Ayant remarqué son air pensif, Yoroh l’interroge. Et l’homme politique de freiner à un feu rouge en marmonnant : « À un moment les jets de lumière étaient trop vifs. Qu’est-ce qui leur a pris ? Mon allumeuse, je crois qu’elle m’a reconnu, snif ! »

Louis-César BANCÉ

( D’après une histoire vraie dont LCB a reçu la confidence. Sauf la forme que j’ai quelque peu agrémentée, cette histoire est authentique dans son fond. )