Vous connaissez Yopougon Sideci ? C’est l’un des quartiers les plus bouillonnants de Poy où il semble avoir plus de maquis que de maisons. Je suis Guy-Emmanuel, jeune ivoirien de 23 ans, résident de Sideci. J’habite avec mon oncle, un septuagénaire qui passe son temps à ne rien faire à part se promener dans les bistrots pour consommer les spiritueux. Quand il était plus jeune, c’était un coureur de jupons.
Après avoir arrêté les études en classe de 5ème, exclu de l’école pour mes résultats médiocres, je traine au quartier depuis lors, en espérant que demain, les choses s’améliorent pour moi. Pour cela, j’ai décidé de mener une vie exemplaire contrairement à la majorité des jeunes de mon âge qui s’adonnent à la débauche, tourbillonnant entre alcool, drogue et sexe. J’appartiens à la communauté chrétienne catholique de Sideci, où je suis membre du groupe des Enfants de chœur.
Au quartier, tout le monde m’apprécie pour mon exemplarité. Quand les aînés m’envoient, je cours faire leurs courses avec beaucoup d’entrain. Parmi ces derniers, il y a une dame, une sexagénaire du nom de tantie Pierrette, très gentille, qui me laisse toujours la monnaie après avoir recouru à moi pour ses emplettes. Elle a un bon cœur et m’a même fait cadeau d’un beau téléphone portable en plus de m’avoir gratifié de plusieurs petits présents. Un soir, elle m’a invité à sortir. Je l’ai suivie sans arrière-pensées dans une cave chic du quartier Maroc, dans les encablures du carrefour Tiken Jah. Là, maman Pierrette a commandé du poulet braisé, que j’ai mangé. Au lieu de Guy, elle m’appelait autrement :
– Guitou, le poulet était doux ? me demanda-t-elle en faisant passer un fin cure-dent entre ses dents.
– Oui tantie, j’ai aimé.
– C’est bien. Maintenant, qu’est-ce que tu veux boire. Une bière bien glacée ?
– Tantie, moi je ne bois pas bière, hein. On dit ce n’est pas bon.
– Qui t’a dit ça ? C’est faux, ça fait du bien à l’organisme. Mais bon, et le vin, ça au moins ça te va ? Parce que Jésus même a transformé l’eau en vin à Canaan, hein, pour que les gens se fassent plaisir. Le vin est donc béni depuis mathusalem.
– Je n’ai pas de problème avec le vin, tantie. À l’église, on l’utilise aussi pour le sang du Christ.
– Garçon, un vin LCB sur la table !
Un garçon en nœud papillon nous apporta une bouteille de vin. Pendant que j’étais en train de boire avec maman Pierrette, elle fit sortir une cigarette de son sac à main, et se mettant à fumer, elle me dit :
– Mon petit, faut finir de boire mon vin on va aller se reposer !
J’étais surpris d’entendre tantie Pierrette me faire une telle suggestion. Selon ce que j’avais toujours entendu, c’était les hommes qui faisaient des propositions pareilles aux femmes, et moi j’étais à des années lumières de ces vilains manèges. L’articulation dubitative, je fis savoir à ma vieille mère que je n’avais pas sommeil et qu’elle devrait m’excuser. Elle tapa du poing sur la table :
– Tu as oublié tous les petits jetons que je t’ai donnés ? me remémora-t-elle sur un ton sévère. Toutes mes monnaies que tu as gardées ? Le téléphone que je t’ai acheté ? Il y a plein de jeunes à la Sideci, à qui je n’ai jamais manifesté de la tendresse, ni de la gentillesse. Sauf à toi ! Tu ne t’ai jamais demandé pourquoi ? Eh benh, parce que ce sont des voyous, tandis que toi, tu es sain. Sain d’esprit et de corps. Tu ne dois pas avoir de maladie. Tu es un bon petit, et je t’aime bien. Écoute, termine ton verre on va aller se reposer, à défaut de quoi je ferais un scandale ici !
Tantie Pierrette semblait être une habituée de l’endroit. Elle m’a pris par la main et m’a fait monter au premier étage où elle m’a mougou dans une chambre, en « bri ».😭 À cause d’un poulet braisé et quelques gorgées de vin, j’avais péché devant le seigneur. 🥺
En rentrant à la maison, j’ai raconté ma mésaventure à mon oncle chez qui je vivais, lui demandant si c’était possible de porter plainte.
– Laisse tomber, mon petit, me conseilla mon petit papa. Quand Pierrette était plus jeune et que moi j’étais robuste et fort, je l’ai aussi invitée à manger du poulet braisé, après quoi, nous sommes allés nous reposer ! C’est ça la vie, petit, la roue tourne !
Tonton Guillaume m’avait fait cet aveu sans aucun remord, en continuant à fumer son cigare et à boire son gbêlè. Je filai dans la chambre pour m’agenouiller en commençant à faire une dizaine de « Je vous salue Marie »…
Louis-César BANCÉ
