Cindy et moi nous sommes rencontrés sur Facebook, pendant une empoignade en commentaires alors que nos avis divergeaient sur un sujet à débat. Au dénouement, le ton de notre discussion est devenu taquin, et nous avons fini par devenir de bons amis virtuels. Un auteur, je ne sais plus qui, a dit que les plus grandes amitiés sont celles qui naissent sous le coup de l’orage. Cela semblait le cas de Cindy et moi qui ne pouvions passer de jour sans bavarder longuement sur messenger, et aussi sur WhatsApp. Dans ces espaces d’échanges privés, il nous arrivait de nous envoyer des émoticônes en cœur. Sans raison. Où peut-être y en avait-il une que nous ignorions et qui était vivace dans notre subconscient : nous commençions à nous aimer, à notre insu. Le jour de notre rencontre physique, sur une plage d’Assinie, nous nous sommes arrachés un baiser à la volée, que nous avons perpétué tout le long de la rencontre jusqu’à nous téléporter au fond d’un bungalow. J’avais pensé qu’on aurait conclu l’affaire par un tir au but, malheureusement on ne s’est limités qu’à des caresses voluptueuses pour une raison malencontreuse brandie par mon amoureuse :

« Chéri, tu ne pourras pas marquer le but. Le filet est obstrué par un fleuve rouge… »

Après ce rendez-vous inoubliable, c’était clair que Cindy et moi étions devenus amants. Un mois après, nous nous sommes revus, brûlants d’envie. Elle a préféré que la rencontre se fît chez elle :

– Mon père prend l’avion ce soir pour Paris. Je serai seule. L’appartement sera à nous ! m’a-t-elle confié, exultante.

Fille unique, elle vivait dans une grande maison avec son père, un gradé de l’armée fréquemment en mission. En l’absence de ce dernier, dans la chambre de Cindy, nous faisions nos préliminaires quand tout à coup la porte s’ouvrit au moment où je m’apprêtais à marquer le pénalty :

– Bon Dieu ! C’est quoi ces conneries ? Cindy, c’est qui ce garçon qui a l’air d’un drogué ? C’est ce que tu fais dans le dos de Kevin, ton fiancé ?

Le gendarme m’avait foutu à la porte en me donnant un coup dans le derrière, avec sa grosse godasse. J’étais sorti de la villa cossue en traînant mes vêtements, me rhabillant en marchant dans l’allée, dans l’obscurité de 22 heures. Cindy m’expliqua le lendemain que son père avait dû annuler son voyage sous ordre du commandant supérieur de la gendarmerie qui avait besoin de lui pour un travail à Abidjan.

– D’accord, mais qui est Kévin, dont ton père a parlé ?
– Oh chéri, ne t’en préoccupe pas. C’est très bizarre entre nous. Je cherche le moyen de le larguer. Désormais, c’est toi qui compte.

Bien. Je ne cessais de revoir dans mon esprit le père de Cindy en train de me boter le cul comme si j’étais un vulgaire personnage. À défaut de me venger de lui, je pourrais bien reporter son coup de pied sur sa fille. Oups, mes idées étaient saines. Il s’agissait de prendre notre pied… Cindy et moi, dans une chambre d’hôtel la nuit du dimanche 30 Mai 2021, nous apprêtions à le faire quand mon coude appuya par inadvertance un bouton de la télécommande. D’une chaîne érotique la télé vacilla sur le sport, annonçant la victoire de Chelsea à la finale de la league des champions.

– Quoi ? Manchester City a perdu ? s’épouvanta Cindy. C’est mon équipe de cœur, j’adore tellement Guardiola et je voulais cette coupe aux grandes oreilles pour lui.🥺

Je ne savais pas que Cindy aimait tant le football. En ignorant son chagrin footballistique, j’éteignis la télévision en rapprochant mon museau de ses lèvres pour la rebrancher à nouveau afin d’aller à la conclusion. Elle me repoussa et alla récupérer son string égaré derrière la porte de la douche…
– Ce sera une prochaine fois, chéri, me dit-elle en se rhabillant. Laisse-moi porter d’abord le deuil de mon équipe…
        
Pourtant nous étions si prêts du but !

Pas grave. Nous avons remis notre rencontre récemment, nous retrouvant chez moi la nuit de ce samedi 5 Juin 2021. J’ai mis la radio nostalgie, pour la douceur de ses slows distillés à cette heure pendant que nous nous aimions… Et alors que je m’apprêtais à conclure l’affaire le programme radiophonique chamboula tout d’un coup, portant une triste information à notre connaissance :

« Urgent ! Au Burkina Faso, dans le nord du pays à Solhan, plus de 100 civils ont été tués lors d’une attaque terroriste, la plus meurtrière enregistrée depuis l’implantation des djihadistes dans le Sahel en 2015… »

En remuant la tête en signe de désarroi, je voulus tout de même achever ce que Cindy et moi avions commencé. Elle se mit dans une colère noire :

– Ça va pas ou quoi, toi ? On annonce que 100 personnes sont mortes au Burkina et toi tu veux quand même baiser ? Pff !

Désolé, chers lecteurs. C’est le mot qu’elle a lâché avant de me claquer la porte.

Louis-César BANCÉ