Cette nuit-là, à l’hôtel, j’ai compris qu’une femme pouvait aimer les doigts d’un homme autant que le soldat central. Quand les doigts picorent le piano avec doigté, l’auditoire est conquis et se laisse enivré de musique. Il en est de même quand ils savent jouer en une femme. Parfois le majeur suffit à créer l’extase. Et quand c’est nécessaire il a aussi besoin de s’associer à l’index pour faire monter le mercure. Ahouéfa en a été comblée sans qu’heureusement, ma main ne restât prisonnière d’elle. Les démons surveillants de Dagbozounhkounh n’avaient sans doute pas pris en compte les assauts digitaux de l’ennemi !

Enlassés l’un contre l’autre, ma jolie béninoise et moi avions passé le reste de la nuit à parler du guérisseur Ayodélé Wakirou et du bonheur qui serait le nôtre quand nous aurions réussi à briser le sort de mon impuissance. Très tôt le lendemain, nous nous sommes rendus à Ikeja Gbadaga, la localité indiquée par mon meige du Niger. Et demandant à voir le célèbre guérisseur
yoruba, nos indicateurs nous ont menés vers une grotte où nous étions censés le trouver. Regrettablement pour nous, le guérisseur était en voyage, comme nous l’annonça son fils qui assurait son intérim :

-Mon père est parti au Togo pour s’occuper d’un malade, qui souffre du même mal que vous. Ce malade est propriétaire d’un hôtel appelé Akpa Beach, au quartier Souzanètimè de Lomé. Si c’était dans mes possibilités de vous guérir, je l’aurais fait. Cependant le mal dont vous souffrez nécessite l’intervention de mon maître. Soit vous attendez son retour ou vous allez vers lui, au Togo. Mais à mon avis, la deuxième option serait la meilleure. Il ne faut pas perdre de temps face à ces attaques pernicieuses.

-Nous craignons de nous rendre au Togo et d’apprendre que votre père ait quitté le territoire. A-t-il un téléphone ?

-Votre meige du Niger ne vous a-t-il pas dit que le vieux Ayodélé Wakirou fonctionne sans téléphone ? Il y a de ces appareils modernes qui sont nuisibles à son pouvoir thérapeutique.  Quant au fait de vous soucier de ce que vous le trouveriez à Lomé ou pas, le vieux, en traitant son malade qui l’a fait venir, a décidé de s’accorder quelques jours de repos dans l’hôtel de ce dernier. Notre travail est tellement absorbant que nous oublions parfois de prendre des congés. Je vous souhaite bonne route ! Et soyez rassurés qu’il pourra vous donner entière satisfaction !

Le fils d’Ayodélé Warikou fit des prières pour nous, afin d’aplanir notre route. Puis nous sortîmes de sa grotte en allant à l’aéroport de Lagos pour les réservations de notre vol. Deux jours après, nous étions à Lomé. Nous nous rendîmes au quartier Souzanètimè, à l’hôtel Akpa Beach, et demandions à voir le guérisseur Ayodélé Wakirou. La réception nous confirma que nous étions à la bonne adresse. Ouf ! Quel soulagement ! Le vieux yoruba dormait à la chambre 114. Nous pourrions le voir à son réveil. Rassurés, Ahouéfa et moi prîmes un ticket de séjour. On nous logea à la porte 115. C’était encore plus réconfortant de se savoir voisins de celui qui aurait la charge de me redonner mon titre d’homme. Le lendemain, des cris perçants nous firent sursauter de notre lit. Nous sortîmes pour voir ce qui se passait dehors. Il y avait un attroupement du personnel de l’hôtel devant la chambre 114. Qu’y avait-il ? Pourquoi cette consternation ? Ahouéfa et moi nous approchions de la chambre et vîmes un vieil homme étendu dans son lit. La réceptionniste qui nous avait enregistrés la veille nous lâcha la nouvelle, des pleurs dans la voix :

-C’est le guérisseur Ayodélé Warikou. Depuis deux jours qu’il ne sort pas de sa chambre, nous pensions qu’il était en séance de travail avec les esprits, comme il aimait nous le répéter, et n’avions pas voulu le déranger. Ce matin après avoir sonné, en vain, sans qu’il ne réagisse, nous avons été contraints d’ouvrir la porte. Nous l’avons découvert mort. 😭

Louis-César BANCÉ